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La nuit du 12 de Dominik Moll

Publié le 28/02/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Les flics ne dorment pas la nuit

À la PJ, chaque enquêteur tombe un jour sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan Vivès (Bastien Bouillon), capitaine d’une brigade sous-financée, c’est le meurtre de Clara Royer (Lula Cotton-Frapier), 21 ans, aspergée d’essence et brûlée vive en pleine rue par un homme cagoulé dans la nuit du 12 octobre 2016. Les suspects ne manquent pas, les interrogatoires se succèdent sur plusieurs années... mais le coupable reste introuvable.

La nuit du 12 de Dominik Moll

« Chaque année, la police judiciaire ouvre plus de 800 enquêtes pour homicide. Près de 20% d’entre elles restent irrésolues », nous informe le carton d’ouverture. Le pari audacieux de Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien, Seules les Bêtes) et de son fidèle co-scénariste, Gilles Marchand, qui adaptent l’ouvrage 18.3 – Une Année à la PJ de Pauline Guéna, consiste donc à nous intéresser à une enquête qui durera des années… et qui n’aura pas d’issue ! Comme dans tout bon polar, c’est le voyage qui importe, plus que la destination. L’identité du meurtrier n’est donc pas le propos du film : au fil des arrestations et des interrogatoires avec une série de suspects, Moll et Marchand font le constat inquiétant d’une indifférence totale de la part de ces hommes quant à la violence faite aux femmes.
En questionnant une poignée d’anciens amants de Clara, les inspecteurs Vivès et Marceau (Bouli Lanners) se rendent compte que - de celui qui éclate de rire face à leurs questions en passant par la brute qui cogne fièrement ses compagnes - aucun n’émet la moindre empathie, le moindre regret pour la victime. Pour eux, la jeune femme n’est devenue importante que par sa mort violente. De son vivant, elle était unanimement considérée comme une énième maîtresse ayant fait un bref passage dans leur lit. Le caractère prétendument volage de la défunte suffit, à leurs yeux, mais aussi aux yeux de certains policiers étroits d’esprit, à expliquer, voire à justifier son assassinat. En abordant la question du féminicide et en faisant le portrait d’une masculinité toxique sans résoudre l’enquête, Moll et Marchand semblent nous dire que c’est la gent masculine dans son ensemble qui est coupable, son indifférence ayant depuis longtemps condamné Clara. « Tous les types qu’on a entendus auraient pu le faire. Et peut-être qu’aucun d’entre eux n’est l’assassin », se désole Vivès.
Si La Nuit du 12 pose également la question légitime du manque de femmes policières présentes lors de ces enquêtes, le récit se montre plus subtil qu’un simple pamphlet féministe et moraliste, notamment grâce à l’interprétation nuancée des deux têtes d’affiche. Bastien Bouillon impressionne dans la peau d’un inspecteur maussade, que le boulot anesthésie lentement et qui tente de ne pas laisser son obsession le détruire. Cette enquête inachevée le hante-t-elle par empathie pour la victime ou par orgueil ? Quant à Bouli Lanners, il est tout simplement bouleversant dans la peau d’un flic bien trop sensible pour ce métier, un homme délicat dans un monde sans délicatesse, qui ne supporte plus cette violence faite aux femmes par des monstres devant lesquels il a le plus grand mal à réfréner sa rage. Il ne supporte plus non plus le côté procédurier du métier : « On interroge les gens, on fouille leurs affaires, on écoute leurs conversations et on écrit des rapports. Des rapports et des rapports... C'est le combat du Bien contre le Mal, mais avec une photocopieuse qui ne marche pas ! »
     
Par sa mise en scène aussi discrète que puissante, Moll parvient à créer une grande tension teintée de malaise, jouant à merveille du contraste entre un environnement réaliste et des scènes oniriques qui lorgnent vers le cauchemar. Polar atypique que certains, forcément, trouveront frustrant, La Nuit du 12 n’en reste pas moins l’un des meilleurs films de l’année ainsi qu’un sommet dans la carrière de son réalisateur.

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